Durant deux ans, un Ephad a expérimenté une stratégie d’accompagnement personnalisée des patients Alzheimer sans recours aux médicaments.
Les résultats sont très prometteurs.
Résidents de l'EHPAD de la Source (PACA). (DR)
A l'heure du déremboursement des médicaments contre la maladie d'Alzheimer, les approches non-médicamenteuses se développent.
Des premiers résultats, très prometteurs, ont été présentés ce 20 septembre lors d'un congrès à Marseille.
En quoi consistent ces nouvelles prises en charge personnalisées ?
Les explications du Dr Thierry Bautrand, gérontopsychiatre, directeur d'EHPAD et président de l'association Aides Aux Aidants (Marseille).
Thierry Bautrand, gérontopsychiatre, directeur d’un EHPAD et président de l'association Aides Aux Aidants.
Lorsque l’on parle de maladie d’Alzheimer, on songe spontanément à la question des pertes de mémoire. Les approches dont vous avez rendues compte aujourd’hui au congrès de la Société Francophone de Psychogériatrie et de la Personne Âgée concernent d’autres aspects de la maladie.
Dr Thierry Bautrand – En effet. Outre les pertes de mémoire, contre lesquelles peu de choses sont efficaces aujourd’hui, la maladie se traduit également par des troubles du comportement, parfois gravissimes.
Ces troubles engendrent un épuisement des aidants familiaux – certains vont jusqu’au suicide – et des aidants professionnels en maison de retraite.
Jusqu’à très récemment, nous recourrions à des neuroleptiques, très délétères et pas du tout "bientraitants".
Nous savons désormais que certaines approches non-médicamenteuses, à la condition expresse qu’elles soient personnalisées, permettent de traiter ces troubles.
Quel type de stratégies développez-vous ? En quoi sont-elles personnalisées ?
Dr Thierry Bautrand – Je vais donner ici quelques exemples.
Face à une angoisse du soir, qui provoque une opposition du résident avec le personnel, on va mettre en place une « thérapie de la réminiscence » (ou « réminiscence thérapie »), c’est-à-dire la création d’un lien avec le souvenir de la personne, lien qui sera véritablement personnalisé : si la dame est née à Brest, on mettra des photos de cette ville dans sa chambre, [pour lui redonner des repères]. Nous utilisons également, parmi d’autres, des thérapies de la réorientation, qui passent par des exercices de renforcement des fonctions cognitives, mais également par l’aménagement de l’environnement du patient, notamment la lumière selon les heures de la journée, ou encore la musique diffusée.
Les exercices de renforcement des fonctions cognitives font parties des ressources non-médicamenteuses évaluées en EHPAD. (DR)
Comment les différentes solutions mises en œuvres ont-elles été identifiées, puis évaluées ?
Dr Thierry Bautrand – Les thérapies non-médicamenteuses ont dans un premier temps été explorées dans une grande étude qui se nomme ETNA3, à Bordeaux, qui a démontré que lorsqu’on personnalisait les thérapies, celles-ci étaient efficaces. Par la suite, dans la maison de retraite que je dirige, nous avons mené une expérimentation auprès de trente patients, sous la tutelle de l’Agence Régionale de Santé, pour évaluer si ces approches étaient efficaces sur les troubles du comportement la nuit.
Les résultats que nous venons de présenter, et qui vont faire l’objet d’une publication dans la revue médicale JAMDA, sont très encourageants.
Quelles approches ont été évaluées ?
Dr Thierry Bautrand – Il s’agit principalement ici d’un travail sur l’environnement : en EHPAD, les résidents peuvent avoir beaucoup de mal à savoir quelle heure il est et, lorsque l’on passe en horaires de nuit, le nombre d’aidants diminue fortement, ce qui peut être source d’angoisse et de désorientation.
Nous avons installé des lumières qui diminuent progressivement d’intensité, ainsi que des horloges, pour permettre de mieux se situer dans le temps.
Nous avons également travaillé sur les habits portés par le personnel de nuit, avec des couleurs bleu-nuit.
La musique également, avec des musiques douces et bienveillantes en fin de journée…
En renforçant les repères spatio-temporels, en envoyant chaque fois des signaux, bienveillants, qui permettent de faire comprendre que c’est la nuit, on espérait rassurer des patients. L’étude a duré un an.
Quels ont été les résultats ?
Dr Thierry Bautrand – On s’est aperçu que la déambulation de nuit, l’opposition [aux soignants], et les cris, avaient diminués de manière très significative – de l’ordre de 80% – entre le début et la fin de l’expérimentation. Concernant les expérimentations menées depuis deux ans [en journée], les prescriptions médicamenteuses ont été réduites de 50%. Au vu de ces différents résultats, l’ARS PACA a pris l’initiative de poursuivre l’évaluation de ces thérapies à l’échelle de 21 EHPAD de la région.
Dans l'EHPAD du Dr Bautrand, on propose aux patients des activités d'exploration sensorielle (snoezelen) qui visent essentiellement à améliorer le bien-être des patients, afin de réduire la fréquence de leurs angoisses sur le long terme. (DR)
Ces stratégies pourraient-elles être déployées « à domicile », pour ralentir la perte d’autonomie et retarder l’entrée du malade en institution ?
Dr Thierry Bautrand – Nous l’expérimentons actuellement avec mon association. Les aidants familiaux de personnes atteintes de démence s’épuisent : rappelons que 15% meurent avant la personne qu’ils aident, soit deux fois plus que les aidants familiaux atteints d’autres maladies !
La violence, l’agressivité, l’opposition, les déambulations nocturnes, les fugues, sont source de grande fatigue.
Nous essayons d’expliquer à nos membres les thérapies médicamenteuses personnalisées aux aidants, pour voir s’ils parviennent à les déployer à domicile. Une lumière qui change, une musique douce, ce n’est ni difficile ni coûteux à mettre en place !
Si les résultats sont au rendez-vous, nous espérons que ces solutions se diffuseront.
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