coletteroumanoff Jan 27 2018
Un remède à l’enfermement
L’enfermement est un des grands drames de la vie quotidienne patients alzheimer. On les enferme pour leur sécurité. Oui, mais dans notre société on ne cesse d’opprimer les gens pour leur sécurité. Dans les Ephad, toutes les « unités protégées » sont des unités fermées.
Mais ce n’est pas parce qu’il ne peut plus sortir seul qu’un malade n’a pas envie de sortir. Il doit sortir accompagné, d’où l’idée de demoiselles de compagnie, spécialisées en promenade.
Dans les institutions les personnes en service civique pourraient remplir ce rôle, cela demande juste une révolution dans la manière de regarder les malades, cela implique de s’intéresser à leur désir et à leur plaisir, de considérer qu’ils sont des être humains comme nous.
Est ce que nous nous aimerions être enfermés?
Un patient en bonne santé
Tant qu’un patient Alzheimer n’est pas malade, il n’a pas besoin de garde malade. Un patient Alzheimer est d’abord un patient en bonne santé. Il est désorienté dans le temps et dans l’espace. Il lui faut donc une boussole pour pouvoir se déplacer dans un espace même familier. Un GPS ne fera pas l’affaire… sauf peut-être tout au début, tant que l’autonomie est préservée. Quand il lui manque trop de repères et qu’il ne peut plus rester seul, il lui faut de la compagnie en permanence, pour aller et venir, pour trouver les toilettes, pour faire les courses, pour se promener, lire ou aller au cinéma etc…
L’ennemi du patient c’est le stress, mais c’est aussi l’ennui.
Pendant longtemps j’ai été la demoiselle de compagnie de mon mari, sans le savoir, tout comme Mr Jourdain faisait de la prose sans s’en douter. J’ai été aussi son compagnon de jeu, je me suis remise au tennis et j’ai commencé le golf avec lui. Je l’emmenai à la piscine. Nous avions une mini table de ping-pong pliante dans le salon.
L’idée ne m’est jamais venue que comme il était incapable de se promener tout seul, il devait obligatoirement rester à la maison toute la journée. Je crains que la plus part des gens raisonnent cependant ainsi, avec des conséquences dévastatrices sur l’état du patient qui se trouve enfermé sans l’avoir demandé et privé de sa liberté de mouvement.
Le défi posé par la pathologie, c’est de surmonter ou de compenser les pertes de repères de façon à faire mener au patient une vie aussi normale que possible.
Aller se balader
Daniel adorait marcher et appréciait beaucoup d’être dehors. La porte codée, il ne s’est jamais senti enfermé. Il a eu des demoiselles de compagnie qui l’emmenaient dehors. C’est parmi les étudiantes surtout que je les ai trouvées, particulièrement celles qui sont en fin d’études et qui ont du temps libre en semaine.
Une annonce sur un site étudiant (etudiant.fr) « cherche demoiselle de compagnie pour patient Alzheimer » suscite beaucoup de candidatures. Daniel était ravi de rencontrer de nouvelles personnes, même s’il n’arrivait pas à mémoriser les prénoms. C’est une sorte de tissu social qui s’est crée petit à petit, où il était très à l’aise.
La rencontre entre la demoiselle et le patient
L’une d’elles a écrit: « Cette rencontre avec Daniel a été très enrichissante pour moi. Avec le temps j’ai appris que l’on peut vivre avec cette pathologie. Il faut simplement être à l’écoute de la personne. Nous avons passé de très bons moments à rire, à philosopher durant nos longues promenades. Je me souviens d’un fou rire lorsque Daniel a sursauté en recevant une goutte d’eau sur son front. Il pensait que quelqu’un lui jetait de l’eau alors que ce n’était que la pluie. Et lorsqu’il me disait : « vous être très agréable » cela me procurait une joie immense. »
Une autre: « Vous me regardez souvent en me demandant pourquoi je suis si grande, cela me fait sourire… Je ne connais toujours pas la réponse à votre question: « le soleil est-il une personne de confiance? »
Une autre encore: « Grace à vous je passe des vendredis à siffler gaiement dans la rue et à parcourir le quartier en devisant philosophiquement, vous dites souvent: « Écoutes la voix de ton cœur, elle ne te trompera pas ». Cela me fait réfléchir. »
Bien sûr, je faisais d’abord un casting et un peu de formation, j’expliquais ce qu’il convenait de faire et surtout d’éviter: Ne pas contrarier le patient, ne jamais lui dire non, lui parler normalement. Ensuite il faut toujours vérifier que la relation est bonne pour les deux parties, que tous les deux sont contents de leur après-midi, qu’ils ont en quelque sorte des « atomes crochus. »
Il y a une complémentarité, une relation naturelle qui s’installe, la demoiselle sait que c’est temporaire et elle profite de ce temps suspendu, dans lequel l’attention qui lui est demandée, ce voyage dans le présent, la délivre de ses autres soucis. Le patient est entièrement rassuré par une compagnie bienveillante. Il est d’autant plus heureux de toutes ces promenades qu’il sait pertinemment qu’il ne pourrait pas les faire tout seul.
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